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Valorisation du fonds de commerce du locataire évincé

par | 16 mars 2020 | Juridique & légal | 0 commentaires

Dans le cadre d’un bail commercial, lorsque le bailleur refuse son renouvellement, le locataire est en droit de demander une indemnité d’éviction calculée en fonction des usages de la profession et qui varie selon que le commerçant peut se réinstaller sans subir une perte de clientèle (indemnité de déplacement) ou non (indemnité de remplacement). Comme […]

Dans le cadre d’un bail commercial, lorsque le bailleur refuse son renouvellement, le locataire est en droit de demander une indemnité d’éviction calculée en fonction des usages de la profession et qui varie selon que le commerçant peut se réinstaller sans subir une perte de clientèle (indemnité de déplacement) ou non (indemnité de remplacement).

Comme nous l’avons déjà souligné, la caractéristique essentielle du statut des baux commerciaux est le droit au renouvellement qui permet de protéger les fonds de commerce industriels, commerciaux ou artisanaux. L’indemnité d’éviction n’est que l’alternative au renouvellement du bail, si le locataire remplit toutes les conditions édictées par le statut. C’est le prix à payer par le bailleur qui n’entend pas renouveler le bail de son locataire et ainsi recouvrer la libre jouissance de son bien. L’indemnité d’éviction garantit au locataire son droit à renouvellement et doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

L’offre d’indemnité d’éviction est faite pour l’échéance du bail – contractuelle ou non – à l’occasion de la signification d’un congé avec refus de renouvellement ou du refus de renouvellement signifié suite à une demande de renouvellement du bail expiré. Indépendamment de toutes ces circonstances propres au locataire, le bailleur peut également refuser le renouvellement d’un bail commercial sans être tenu de payer une indemnité d’éviction si l’immeuble est déclaré insalubre par l’autorité administrative ou s’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.

L’INDEMNITÉ PRINCIPALE : REMPLACEMENT OU DÉPLACEMENT

Le préjudice subi par le locataire sera différent selon qu’il perd ou non sa clientèle du fait de l’éviction. Dans le premier cas, il faudra l’indemniser de la valeur du fonds de commerce perdu, dans le second, de la valeur du droit au bail seulement. En tout état de cause, l’indemnité devra réparer l’intégralité du préjudice. En cas de bail mixte à usage commercial et d’habitation, le juge ne pourra limiter l’indemnité au seul préjudice subi du fait de l’éviction de la partie commerciale.

L’INDEMNITÉ DE REMPLACEMENT

Le magistrat appréciera souverainement – et généralement au vu d’un rapport d’expertise – si l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce.

La question sera : existe-t-il des locaux disponibles dans un secteur proche permettant la réinstallation du locataire évincé ? Evidemment, il existe des fonds qui, compte tenu de leur notoriété, de leur monopole ou de leur activité, ne risquent pas de perdre leur clientèle quel que soit leur emplacement. S’il n’existe pas de locaux et si cette absence entraîne la perte du fonds, le locataire doit être indemnisé de la perte de son fonds. On recherchera la valeur du fonds de commerce comme s’il devait être vendu, selon les usages de la profession considérée, qui retiennent, pour déterminer la valeur d’un fonds selon sa nature, diverses méthodes.

La détermination du coefficient ou du pourcentage est faite à partir de ces usages, en tenant compte, en outre, du niveau du loyer, de la notoriété du fonds, de ses équipements et de sa rentabilité.

EXEMPLES D’ESTIMATION DE LA VALEUR D’UN FONDS DE COMMERCE

  • Estimation par le taux sur recettes ou chiffre d’affaires

Les taux sur recettes sont issus de barèmes définis par branche d’activités et le plus souvent sur une base TTC. Ces taux sont fournis par différentes sources : les chambres de commerce, les fédérations professionnelles, les experts-comptables, l’administration fiscale, les publications juridiques, etc. Le recours au taux sur recettes vise le plus souvent des exploitations de format modeste tel un salon de coiffure ou un café-bar de quartier. Vous retrouverez une liste non exhaustive de ces commerces dans le tableau ci-contre.

  • Estimation par l’excédent brut d’exploitation

Les usages professionnels ont cependant disparu dans la très grande majorité des activités. Les méthodes d’évaluation du fonds de commerce par le chiffre d’affaires (CA) apparaissent parfois inadaptées, puisqu’elles ne rendent pas compte de la rentabilité du fonds de commerce, ce qui conduit les tribunaux, à la suite des experts, à utiliser et recouper plusieurs méthodes d’évaluation pour procéder à la détermination de l’indemnité. Il s’agit de retenir notamment un certain multiple de la capacité bénéficiaire exprimée par l’EBE (excédent brut d’exploitation), les coefficients s’échelonnant de 3 à 10. L’évaluation du fonds de commerce est recherchée par capitalisation de la capacité bénéficiaire dégagée par référence à l’EBE. L’EBE représente l’ensemble des disponibilités dégagées par l’exploitation. Il se détermine comme suit :

EBE = Résultat d’exploitation

– autres produits d’exploitation

+ autres charges d’exploitation

– reprise sur amortissements et provisions

– transfert de charges d’exploitation

+ dotations aux amortissements et provisions

Le choix du coefficient tient à divers critères dont la courbe d’évolution de l’activité et ses perspectives.

  • Estimation par actualisation du flux

Cette méthode est souvent utilisée pour la transmission sur le marché de fonds de taille significative et reste d’application exceptionnelle dans le cadre judiciaire.

  • Méthode par comparaison directe

Cette méthode peut constituer un moyen de recoupement. Elle consiste à rapprocher une première estimation des conditions de négociation sur le marché d’un fonds de même nature. L’ensemble étant calculé sur la moyenne des trois dernières années.

INDEMNITÉ DE DÉPLACEMENT

Si le fonds peut être transféré et l’exploitation poursuivie sans perte significative de clientèle, le locataire ne sera pas indemnisé de la perte de son fonds. L’indemnité versée sera une indemnité de déplacement ou de transfert. Le locataire sera indemnisé du préjudice subi à savoir, pour l’essentiel, la perte de ses avantages locatifs, c’est-à-dire la perte de son droit au bail. Le calcul de ce droit au bail résulte de multiples facteurs : emplacement des locaux, équipements, économie de loyer, etc.

La preuve de ce moindre préjudice incombera au bailleur et il conviendra de le distinguer selon les modalités de réinstallation. La loi présume que l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce du locataire. Tel est le cas pour :

  • un créateur réputé de dessins et modèles dont la valeur de l’entreprise a comme éléments essentiels sa marque, son classement « Arts et Création », sa collection de dessins et de modèles ;
  • un garagiste car la personnalité de l’exploitant pour attirer la clientèle joue un rôle essentiel dans ce genre de commerce où les relations et une importante publicité sont, alliées aux connaissances techniques, les conditions indispensables de réussite et alors que, dans l’espèce, il n’existe pas de magasin d’exposition sur rue et que la configuration des locaux les rend invisibles de l’extérieur ;
  • un rempailleur de chaises ;
  • un lithographe pour des locaux situés en fond de cour, sans accès direct sur la rue et non accessible aux chalands, alors que les locaux hébergeant les presses nécessaires à cette activité étaient dans un autre local ;
  • un photographe professionnel exerçant depuis plus de 25 ans et recherché pour des campagnes publicitaires d’excellent niveau ;
  • une galerie d’art qui réalise son chiffre d’affaires en dehors des locaux et dont le déplacement n’entraînera pas celui des artistes. Si le locataire s’est réinstallé en faisant l’acquisition d’un droit au bail, encore appelé « pas de porte », la mesure de l’indemnité sera fournie par le coût d’acquisition. Si, en revanche, le locataire s’est réinstallé sans acquérir un droit au bail, mais en signant un nouveau bail, il conviendra de rechercher la valeur du droit au bail dont il est privé par l’éviction. En clair, l’expert va devoir déterminer le préjudice causé – ou non – par la perte résultant de l’économie éventuelle de loyer. Dans le temps, plusieurs méthodes ont été appliquées :
  • l’application d’un multiple de 7 à 10 au loyer annuel ;
  • la différence entre la valeur vénale de l’immeuble libre et le loyer actualisé à la date du congé capitalisé sur 10 ans ;
  • l’évaluation du droit au bail au mètre carré de surface boutique par référence à des prix de cession pratiqués. La doctrine expertale et la jurisprudence inclinant majoritairement en faveur de cette méthode autrement appelée  » méthode du différentiel « .

INDEMNITÉS ACCESSOIRES

Qu’il s’agisse de la disparition du fonds de commerce ou de son déplacement, les indemnités accessoires sont diverses et leur liste est plus ou moins longue selon les circonstances de fait et selon qu’il s’agisse de la perte du fonds de commerce ou de son transfert.

  • Indemnité de remploi

Il s’agit des frais et droits de mutation à payer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur ou d’un droit au bail équivalent. Les mutations à titre onéreux portant sur un fonds de commerce ou une clientèle civile ou commerciale doivent faire l’objet d’un enregistrement dans le mois de leur réalisation. Elles sont soumises à un droit composé d’un droit budgétaire, d’une taxe départementale, d’une taxe communale. Le taux global est de :

  • 0% pour la fraction du prix inférieure à 23 000 euros ;
  • 3% pour la fraction du prix comprise entre 23 000 et 200 000 euros ;
  • 5% pour la fraction du prix supérieure à 200 000 euros. Exemple : pour un fonds d’une valeur de 250 000 euros, les droits d’enregistrement s’élèveront à (3 % x 177 000) + (5 % x 50 000) = 5 310 + 2 500.

Les droits d’enregistrement sont en principe acquittés par l’acheteur du fonds de commerce. Ils s’appliquent au prix de vente mentionné dans l’acte augmenté des charges. Les droits s’appliquent à toutes les charges qui relèvent en principe du vendeur et que l’acquéreur paie à sa place. Il est retenu habituellement une indemnité de l’ordre de 8 à 12 % du montant de l’indemnité principale. Cette indemnité est allouée tant dans l’hypothèse de la perte du fonds que de son déplacement, mais elle n’est pas due de plein droit.

La jurisprudence la plus récente écarte cette indemnité lorsque la preuve est rapportée par le bailleur de l’absence de réinstallation du locataire ou que le locataire s’est réinstallé dans des locaux lui appartenant.

  • Frais normaux de réinstallation et de déménagement

Ces frais seront évalués sur devis. En cas de réinstallation dans des locaux plus vastes, les frais de réinstallation seront retenus au prorata des surfaces nouvelles par rapport aux surfaces anciennes.

  • Trouble commercial

L’indemnité pour trouble commercial correspond au préjudice subi par le locataire pendant la période de déménagement et de réinstallation, ou à défaut de réinstallation, à celui correspondant à l’arrêt de l’exploitation. Elle prend également en compte les pertes de temps encourues, par exemple pour la recherche de nouveaux locaux. Elle est fréquemment évaluée à trois mois de résultat d’exploitation, dotation aux amortissements incluse, c’est-à-dire la marge brute d’autofinancement. Des évaluations moindres peuvent être réalisées selon les circonstances : un mois de masse salariale outre les charges ou 15 jours de ces mêmes postes.

  • Indemnité de double loyer

L’indemnité de double loyer est généralement admise en cas de déménagement du locataire. Elle tient compte du fait que, dans la plupart des cas, pendant la période de déménagement et de réinstallation, le locataire va devoir payer à la fois le loyer de l’ancien local et celui du nouveau. Il est habituel de retenir un mois de l’ancien loyer ou même du nouveau loyer, ou encore de la valeur locative, parfois plus selon la durée des travaux d’aménagement.

  • Perte sur stock

Il y aura lieu de retenir une indemnité à ce titre lorsque la cession d’activité oblige le commerçant à liquider ses stocks dans des conditions préjudiciables.

  • Travaux et agencements non amortis

En cas de perte du fonds, les aménagements immobiliers sont inclus dans la valeur du fonds et ne font pas l’objet d’une évaluation supplémentaire. En revanche, en cas de transfert, ils sont retenus pour une valeur résiduelle au bilan.

  • Frais de licenciement du personnel

En cas de perte du fonds, de réinstallation dans un local plus petit ne permettant pas l’emploi de la totalité du personnel ou en cas de refus de certains salariés de suivre l’entreprise sur son nouveau site, il y a lieu d’indemniser le locataire des frais de licenciement du personnel. Ces frais sont retenus sur justification.

  • Frais divers

On prendra en considération différents frais liés au changement d’adresse :

  • frais des actes et formalités de changement de siège ;
  • frais de transfert téléphonique ;
  • frais d’impression des documents commerciaux et emballages ;
  • frais d’information de la clientèle et des fournisseurs, etc.
  • Remboursement du dépôt de garantie

Le dépôt de garantie n’est pas une indemnité. Il est dû au locataire comme une conséquence de la restitution des lieux et celui-ci sera bien avisé de ne pas omettre d’en demander le remboursement à son bailleur dans les conditions fixées au contrat.

A n’en pas douter, il est indispensable que le bailleur avisé se pose la question à l’échéance de son bail de savoir s’il renouvelle le bail de son locataire ou si, dans un souci de valorisation de son patrimoine, il ne devrait pas opter pour le non renouvellement de bail et le paiement de l’indemnité d’éviction.

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