Pascal Compérat, architecte et consultant bénévole à la Chambre, nous explique les différentes raisons qui peuvent entraîner des fissures dans un immeuble.
Il semblerait qu’au cours des années qui viennent de s’écouler, le nombre des immeubles parisiens ou franciliens qui sont victimes de fissures soit en constante augmentation. Il ne se passe pas une semaine sans que je sois confronté à ce type de problème, soit dans le cadre de mon activité professionnelle, soit dans le cadre de mon activité de consultant bénévole à la Chambre des Propriétaires. Il m’a semblé nécessaire au travers de cet article de rappeler à nos lecteurs quelques principes de base qui leur permettront de mieux appréhender ce type de sinistre auquel ils pourraient être un jour confrontés.
TERMINOLOGIE
Fissures, lézardes, crevasses, la terminologie en matière de ce type de désordres est particulièrement riche, comme s’il s’agissait d’inquiéter encore plus ceux qui sont confrontés à leur apparition ou à leur existence. Pour mon encyclopédiste poyaudin favori, le Petit Larousse, à ne pas confondre avec le Grand Robert, une fissure est une petite crevasse ou une petite fente, une crevasse est une fente importante, et une lézarde est une crevasse affectant toute l’épaisseur d’une maçonnerie. En résumé, ce type de désordres est à classer selon sa largeur, à savoir fissure, crevasse et lézarde, sans parler de la micro-fissure dont la classification en tête de cette liste est évidente.
Bien entendu, ce type de désordres peut avoir des origines distinctes et totalement différentes les unes des autres même si parfois, rien n’étant parfait en ce bas monde, elles ont une fâcheuse tendance à s’additionner. Nous nous limiterons volontairement, dans les paragraphes suivants, à rappeler de manière succincte les origines les plus fréquentes, avant de développer de manière plus importante l’une d’entre elles qui est la plus difficile à diagnostiquer et à laquelle il est le plus difficile et coûteux de remédier, à savoir les infiltrations d’eau entraînant la modification du terrain d’assise d’un immeuble.
LA VÉTUSTÉ DU BÂTIMENT
Tout un chacune et toute une chacune, écriture inclusive oblige, a constaté que, comme en ce qui concerne les architectes, l’âge n’arrange rien. Plus un bâtiment vieilli, plus il est affecté de désordres imputables à l’ancienneté de ses matériaux qui conduit souvent à des désolidarisations de ses éléments structurels souvent accompagnées de la corrosion de ses éléments métalliques et de la colonisation de sa charpente et de ses divers éléments structurels en bois par les insectes xylophages et les champignons lignivores. Nous ne nous étendrons pas sur le sujet qui est à l’origine de kilomètres de littérature réputée savante et nous refermons immédiatement cette porte afin de ne pas être tenté de l’enfoncer en la maintenant ouverte…
LES TRAVAUX À L’INTÉRIEUR DU BÂTIMENT
Nous aborderons là un sujet plus sérieux et qui est souvent à l’origine de désordres importants à l’intérieur des immeubles, même si tout ce que nous allons écrire est frappé du sceau du bon sens et est réputé être connu du commun des mortels.
Rappelons qu’un bâtiment comporte des structures porteuses, murs et planchers, qui constituent, par ailleurs, des parties communes d’un immeuble en copropriété, et qu’il est impossible de modifier et/ou de supprimer ces structures sans procéder à l’exécution de travaux définis au sein d’une étude réalisée par un ingénieur en structure. Ces travaux consistent généralement en la mise en place d’éléments en bois, en métal ou en béton destinés à assurer la reprise des charges au droit des zones où les éléments structurels ont fait l’objet de suppressions et/ou de modifications. Rappelons que les travaux qui concernent les éléments porteurs constituant des parties communes d’un immeuble sont obligatoirement soumis à un accord préalable de la copropriété et que leur exécution doit être contrôlée par un homme de l’art, généralement l’architecte de l’immeuble.
Tout manquement à l’obligation de soumettre ces travaux au vote des copropriétaires constitue une infraction à la loi qui entraîne automatiquement la condamnation de la personne les ayant fait réaliser à une amende et à une remise des lieux en leur état antérieur assortie de l’obligation d’assumer les frais de remise en état des parties communes et privatives ayant subi des dommages. Rappelons également que toute absence d’exécution de travaux destinés à assurer la reprise des charges au droit des zones où les éléments structurels ont fait l’objet de suppressions et/ou de modifications entraîne immanquablement l’apparition de désordres se caractérisant généralement par l’apparition de fissures et/ou d’affaissements dans les zones situées à l’aplomb des travaux dans les étages supérieurs.
LES TRAVAUX À L’EXTÉRIEUR DU BÂTIMENT
Il est de plus en plus fréquent que les travaux exécutés par différents concessionnaires, eau, gaz et électricité le plus souvent, sur le trottoir situé en pied d’un immeuble soient à l’origine de désordres importants caractérisés par l’apparition de fissures.
L’apparition de ces désordres est généralement imputable à la réalisation par des entreprises sous-traitantes peu qualifiées de tranchées en limite du mur de l’immeuble, ce qui entraîne un déchaussement des murs des caves et des fondations ainsi qu’une décompression du terrain d’assise de ces fondations.
Il est impératif de réagir vite et de signaler, de manière officielle, à l’entreprise exécutant les travaux, l’apparition de ces désordres avant que le rebouchage de la tranchée soit effectué et que le trottoir soit asphalté, ce qui, soyons rassurés, prends généralement un peu de temps… au grand bonheur de la gente canine !
La construction d’un immeuble, quasiment toujours précédée à Paris de la démolition d’un bâtiment existant, est bien entendu très souvent génératrice de désordres. Ce n’est pas impunément que l’on démoli un bâtiment auquel votre immeuble était adossé depuis des décennies et ce n’est pas non plus impunément que l’on creuse plusieurs niveaux de sous-sol en limite d’un mur pignon. Saluons ici la généralisation aux opérations privées de la procédure de référé préventif qui était auparavant réservée aux marchés publics et dans laquelle le tribunal désigne, avant le début des travaux, un expert-judiciaire qui intervient généralement sous quelques jours en cas d’apparition de désordres. Rappelons qu’avant la généralisation quasiment automatique aux marchés privés de cette procédure de référé préventif, l’apparition de désordres était suivie d’une procédure de référé et que le temps mis à profit par le tribunal pour désigner un expert-judiciaire était généralement mis à profit (sans mauvais jeu de mots…) par le constructeur pour remettre les clefs aux acheteurs et pour mettre la clef sous la porte…
Ne nous cachons néanmoins pas la réalité des choses. L’apparition de désordres dus à une construction voisine est fréquente et obtenir réparation du préjudice subi est généralement, même dans le cadre d’un référé préventif, assimilable soit à un parcours du combattant, soit à un véritable chemin de croix, voire même aux deux.
LES INFILTRATIONS
Comme chacun d’entre nous le sait, l’eau et le bâtiment ne font pas bon ménage, sauf peut-être à Venise… Les infiltrations représentent une des causes principales de fissuration des immeubles avec le caractère aggravant que présente l’apparition extrêmement lente et pernicieuse des désordres. Les infiltrations, qui occasionnent des désordres structurels aux immeubles, ont généralement une origine extérieure ou une origine intérieure au bâtiment. Il est plutôt fréquent d’être confronté en milieu urbain assez dense à des détournements de sources imputables à la construction d’immeubles comportant plusieurs niveaux de sous-sol. Les eaux souterraines, qui avaient, au cours des siècles, trouvé leur chemin, buttent alors sur les parois enterrées de ces sous-sols et partent dans une direction inconnue (sauf des copropriétaires dont les caves sont inondées…). L’origine extérieure est aussi généralement imputable à des fuites sur les réseaux d’égout et/ou sur les réseaux d’alimentation en eau potable implantés sous le trottoir. Leur caractère souterrain rend leur détection et leur mise en évidence particulièrement difficiles.
On mesure l’importance du problème lorsque l’on prend connaissance du pourcentage très faible de l’eau arrivant chez les abonnés par rapport à l’eau envoyée dans les canalisations. En effet, ce pourcentage est dans certains réseaux de 60 à 70 %, ce qui veut dire, si je compte bien, que 30 à 40 % de l’eau se perd en chemin… C’est un milliard de mètres cubes qui serait perdu chaque année en France, soit 1/6 du prélèvement annuel de la production d’eau potable.
Ne paniquons pas néanmoins ! Ce milliard de mètres cube ne va pas en totalité dans les immeubles… Soyons indulgents.
Selon l’ONEMA (Office national de l’eau et des milieux aquatiques), le réseau d’eau potable en France représente plusieurs centaines de milliers de kilomètres, soit 23 fois la circonférence de la terre et il s’agrandit en moyenne de 3 500 kilomètres par an… Ces désordres se caractérisent quasiment toujours par la présence d’une très forte humidité au droit des murs de caves, particulièrement néfaste à ces parois lorsqu’elles sont édifiées en pierre meulière. Et, il faut souvent une longue période pour les constater compte tenu du taux d’hygrométrie assez important qui affecte quasiment toujours les caves des immeubles. C’est alors une longue période de démarches administratives qui s’ouvre devant vous avec son lot de correspondances recommandées, réunions sur le site et dénégations diverses et variées. Bon courage…
L’origine intérieure des infiltrations est plus simple à identifier et elle est généralement imputable soit à des fuites sur les réseaux d’alimentation en eau et/ou d’évacuation des eaux usées, soit à des fuites affectant les réseaux enterrés dans la cour de l’immeuble et qui se caractérisent par l’affaissement du dallage de cette cour.
LE TERRAIN
Le terrain sur lequel repose un immeuble est dénommé le terrain d’assise des fondations. Il porte particulièrement bien son nom, car c’est sur lui que l’immeuble est en quelle sorte assis. D’où l’importance primordiale que revêt ce sol et son aptitude à assurer une parfaite tenue de l’immeuble caractérisée par son taux de travail admissible, ou capacité portante, exprimée en Mpa, c’est-à-dire en kilos par centimètres carrés. On considère qu’un sol est adapté à supporter une construction à partir d’un taux de travail de 0,08 à 0,12 Mpa, à savoir 0,80 à 1,20 bar, un taux de travail de 0,20 Mpa, c’est-à-dire 2 bars, étant considéré comme excellent. Il ne viendrait à l’idée d’aucun entrepreneur d’édifier une construction sans faire réaliser au préalable une étude géotechnique permettant de vérifier les caractéristiques dynamiques du sol sur lequel la construction doit reposer. Presque d’aucun puisque j’ai eu récemment l’occasion de lire, à ma grande consternation, la lettre adressée par une entreprise en réponse à une adhérente pour laquelle je suis intervenu suite à la fissuration de sa maison individuelle, lettre dans laquelle l’entreprise justifiait l’absence d’étude de sol « car le terrain est bon dans la région ». Cela se passe de commentaires, les caractéristiques d’un terrain pouvant varier sur quelques mètres !
Or, la caractéristique principale d’un sol est de manquer de stabilité dans le temps sous l’action d’éléments extérieurs et notamment des infiltrations d’eau qui affectent certaines couches géologiques telles que les marnes calcaires, les argiles et le gypse qui, mis à part sa fonction première de servir à la fabrication du plâtre, possède la redoutable faculté d’être soluble dans l’eau. Et depuis quelques années, le nombre d’immeubles parisiens et franciliens qui sont affectés par des fissures augmente de manière exponentielle ainsi que je suis en mesure de constater au travers de l’exercice quotidien de ma profession.
Plusieurs hypothèses ont été émises à ce sujet, certaines assez farfelues telle que l’augmentation de la circulation automobile, et d’autres certainement plus réalistes telles que l’augmentation des précipitations atmosphériques, les travaux de forage à grande profondeur des tunnels des nouvelles lignes de métro et de RER, et la déviation des sources par les parois enterrées des sous-sols de nouveaux immeubles. Dans la plupart des cas, le sinistre est provoqué par des infiltrations d’eau de provenance interne ou externe à l’immeuble qui entraînent une modification du terrain d’assise des fondations, voire même la disparition complète de ce terrain d’assise dont les fines, à savoir la terre située sous les fondations, sont en quelque sorte lavées par les infiltrations. S’ajoute parfois à cela, et notamment sur le devers de la colline de Ménilmontant où est installé mon cabinet d’architecte, la présence de petits rus souterrains qui contribuent à maintenir dans le sol un taux d’hygrométrie excessif fortement préjudiciable à la stabilité des immeubles. Les immeubles privés d’assise tiennent en général un certain temps sans se fissurer du fait de la rigidité de leur structure et soudainement une fissure se crée et augmente au fil des mois et des années.
La première mesure à prendre par l’architecte, que la copropriété n’a bien entendu pas manqué de désigner, est de déterminer la dangerosité de la ou des fissures qui peuvent parfois entraîner des effondrements de mur et de planchers et préconiser les moyens de sécurité à mettre en œuvre pour les résidents de l’immeuble et les passants si la zone sinistrée est située en limite du domaine public.
Il est ensuite conseillé de faire procéder par l’architecte, auquel la copropriété n’a pas manqué non plus de confier une mission, à la mise en place de jauges qui permettent de vérifier si la situation est stabilisée ou si le désordre est évolutif, étant bien entendu que ce type de désordre est quasiment toujours évolutif… Il est ensuite impératif de faire réaliser une étude géotechnique par une société spécialisée suivie d’une étude de structure par un bureau d’études. Seront ensuite exécutés des travaux de reprise en sous-œuvre des fondations de l’immeuble selon différentes techniques.
Ces travaux de reprise en sous-œuvre de fondations sont généralement réalisés soit par reprise par passes alternées, à savoir la réalisation sous les fondations de voiles en béton armé dénommés dans notre métier des « jambes de pantalon » du fait de leur exécution successive par petites largeurs afin d’éviter la déstabilisation de l’ensemble de l’immeuble, soit par micropieux, à savoir des pieux de faible diamètre (20 à 25 centimètres) permettant d’asseoir les fondations jusqu’au bon sol pouvant être parfois jusqu’à plus de vingt mètres de profondeur. A noter que la réalisation de reprises en sous-œuvre partielles est très fortement déconseillée, celle-ci pouvant occasionner la création d’un « point dur » entraînant une aggravation des désordres existants ou l’apparition de nouveaux désordres. Ne reste plus ensuite qu’à procéder à la reprise des désordres non structurels et à faire intervenir les différentes assurances souscrites dans l’immeuble, auprès desquelles des déclarations de sinistre ont été bien sûr diligentées dès l’apparition des désordres. Et puis, si vous êtes particulièrement inquiets à l’idée d’un vide existant sous votre immeuble, rien ne vous empêche de regarder le merveilleux film de Jean Renoir « La grande illusion » dans lequel Julien Carette déclare, lorsqu’il descend creuser le tunnel par lequel les prisonniers envisagent de s’évader : « je me déguise en taupe inambour !»
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