Sous-location irrégulière : le bailleur peut solliciter de son locataire le remboursement des sous-loyers en tant que fruits civils.
« … Sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu’ayant relevé que les locataires avaient sous-loué l’appartement pendant plusieurs années sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ». Par cet attendu (1) dont le principal intérêt est de recentrer le contentieux de la sous-location irrégulière sur le droit des biens, la troisième chambre de la Cour de cassation, par cet arrêt du 12 septembre 2019 (2), confirme la décision rendue par la cour d’appel de Paris dans cette même affaire le 5 juin 2018 (3). Les revenus tirés de la sous-location de son logement par un locataire, sans l’accord de son bailleur, sont acquis à ce dernier en
vertu du droit de propriété dont il est titulaire.
Droit de propriété et d’accession
Rappelons que le droit de propriété permet – selon les termes de l’article 546 du Code civil – au propriétaire d’un bien tant immobilier que mobilier, de percevoir tout ce que produit ce bien. Il s’agit du « droit d’accession », considéré tant comme mode d’acquisition de la propriété, qu’expression de l’un des attributs du droit de propriété, celui de percevoir les fruits ou revenus de son bien. Ces fruits ne peuvent profiter au tiers de mauvaise foi qui viendrait à entrer en leur possession. Ce tiers, aux termes de l’article 549 du Code civil, est « tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ».
Dans l’affaire objet de la décision du 12 septembre 2019, le bailleur, outre répondre aux arguments de ses locataires visant à faire annuler le congé reprise pour habiter leur ayant été notifié, réclame à ceux-ci le produit des sous-locations litigieuses réalisées depuis plusieurs années, somme évaluée à 27 295 euros et se basant sur le relevé d’activité fourni par la plateforme Airbnb.
Devant les juges du fond, les locataires indélicats opposent à cette demande, d’une part, l’absence de préjudice subi par leur bailleur du fait de cette sous-location car tous les loyers appelés ont toujours été payés par eux et, d’autre part, son enrichissement sans cause car le bailleur chercherait à percevoir une deuxième fois les fruits de son bien. À ces deux moyens, il est répliqué que la demande du bailleur ne se fonde pas sur une quelconque mise en cause de la responsabilité civile contractuelle des locataires, exigeant la démonstration, parfois hasardeuse d’un préjudice (4), mais sur le droit de propriété qui veut que tous les revenus tirés d’un bien reviennent à son propriétaire, y compris ceux non contractuellement prévus par ce dernier. Le détournement fautif de ces fruits, par le biais d’une sous-location illicite au regard des règles d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation car n’ayant
pas fait l’objet d’un accord écrit du bailleur (5), caractérise à lui seul le préjudice financier subi par le bailleur et la perception de cette somme ne peut caractériser un enrichissement sans cause.
Certains commentateurs (6) ont émis des réserves sur l’argumentation de la Cour de cassation s’appuyant sur le droit des biens et non sur le droit des obligations (le bail repose sur des obligations personnelles (7) et non réelles (8) entre le bailleur et le locataire) et faisant du droit de jouissance d’un bien, d’une part, et du droit d’en percevoir les fruits, d’autre part, deux droits dont l’autonomie est affirmée par l’arrêt du 12 septembre 2019. Différente de l’interprétation classique de l’article 544 du Code civil qui ne distingue comme attributs de la propriété que le droit de disposer et le droit d’usage, ce dernier ayant comme corollaire le droit de recueillir les fruits du bien, la solution de la Cour de cassation se révèle favorable aux propriétaires-bailleurs souvent démunis face à l’imagination des locataires de mauvaise foi.
Équilibrage des droits et obligations
On peut voir dans le droit d’accession, au bénéfice exclusif du propriétaire, de tous les fruits produits par le bien et ce, quel que soit le mécanisme juridique choisi, les
prémisses d’un rééquilibrage des droits et obligations des protagonistes des baux d’habitation. La loi du 6 juillet 1989 ne vise-t-elle pas à améliorer les rapports locatifs ?
Mais il est permis aussi de s’interroger sur la moralité de cette solution. Le propriétaire bailleur ne va-t-il pas acquérir la propriété de fruits produits en infraction des clauses du bail et, en quelque sorte, profiter à son tour du défaut d’exécution de bonne foi du bail par le locataire (et devenir un complice indirect d’une infraction aux clauses du bail pour reprendre un vocabulaire pénal) ? Or, dans le cas d’un bail d’habitation, contrat fortement teinté d’intuitu personae (9), ne peut-on considérer que le préjudice moral existe pour le bailleur, du seul fait du non-respect par le locataire de la clause interdisant la sous-location, qu’il est ainsi présumé acquis au bailleur et peut être évalué au montant des sommes obtenues par le locataire indélicat ?
(1) Attendu : motifs donnés par les juges de première instance.
(2) Cass. 3e, 12 septembre 2019, n°18-20727, JurisData n°2019-015481.
(3) CA Paris, 5 juin 2018, n°10/10684, JurisData n°2018-010988 ; F. de LA VAISSIERE, « Airbnb : les sous-loyers illicites sont des fruits civils ! », AJDI 2018, p.864.
(4) Cass. 3e, 3 décembre 2003, n°02-18.033 ; AJDI 2004, p.204 obs. S.BEAUGENDRE ; RTD Civ. 2002 p. 295 obs. P. JOURDAIN.
(5) Article 8 alinéa 1 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 : « Le locataire ne peut ni céder le bail, ni sous-louer le logement sauf avec l’accord écrit du bailleur,… ».
(6) W. DROSS, « Airbnb ou la multiplication des fruits civils. À qui, du propriétaire ou du locataire, doivent-ils revenir ? », RTD Civ. 2018 p. 936.
(7) Obligation personnelle : prestation (dette de somme d’argent ou obligation de faire ou de ne pas faire ou obligation de donner) à laquelle est tenu un débiteur envers un créancier en vertu d’un contrat, d’un quasi-contrat ou de la loi.
(8) Obligation réelle : obligation liée à une chose qui pèse non sur un débiteur personnellement, mais sur le propriétaire de cette chose.
(9) Intuitu personae : locution latine qualifiant un contrat qui est conclu en considération du type ou de la qualité des relations existant entre les personnes qui le signent.
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