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La sous-traitance dans la construction : les précautions à prendre

par | 25 mai 2020 | Juridique & légal | 0 commentaires

Pascal Compérat, architecte DPLG et consultant bénévole à la Chambre, aborde dans cet article le sujet sensible de la sous-traitance en construction. Il y rappelle notamment les notions fondamentales à respecter afin de se protéger des risques de la sous-traitance. En cette belle soirée estivale, la foule se presse au pied de l’escalier d’accès à […]

Pascal Compérat, architecte DPLG et consultant bénévole à la Chambre, aborde dans cet article le sujet sensible de la sous-traitance en construction. Il y rappelle notamment les notions fondamentales à respecter afin de se protéger des risques de la sous-traitance.

En cette belle soirée estivale, la foule se presse au pied de l’escalier d’accès à l’Opéra Garnier et pénètre à pas comptés dans le vestibule de cet illustre bâtiment, à un rythme ralenti par les mesures de sécurité. Après avoir gravi le magistral escalier dessiné par Charles Garnier, ceux qui sont là pour entendre et ceux qui sont là pour se faire voir, se sont enfin assis, ont liquidé quelques quintes de toux qui ne retentissent nulle part ailleurs à l’étranger, sans doute le climat parisien, et ont éteint en catastrophe le téléphone mobile perdu au fond de leur sac. Soudain, un homme au visage particulièrement grave se présente devant le rideau de scène, en costume de ville avec un micro à la main. Et il ne faut pas longtemps au public pour comprendre qu’il n’est pas là en présence d’une mise en scène moderne :  » Mesdames et Messieurs, Monsieur Carlo Belcanto, souffrant, ne sera pas en mesure d’assurer la représentation de ce soir. Nous vous prions de bien vouloir nous en excuser. Il sera remplacé par Monsieur Charles Beauchant « .

C’est la stupeur ! Le ténor des ténors, celui des neufs contre-ut de la Fille du régiment de Donizetti, celui que les scènes lyriques internationales s’arrachent à coup de cachets mirifiques, ne chantera pas ce soir et il sera remplacé par une obscure doublure ! Quel rapport vous demanderez-vous entre l’opéra et le bâtiment, mis à part le fait qu’un chantier oscille souvent entre le drame lyrique et l’opéra bouffe ?

Et bien, en fait et sans le savoir, nous sommes souvent confrontés à une situation identique à celle-ci où celui dont nous avions légitimement le droit d’espérer la présence ne sera pas celui qui sera présent avec la différence notable que vous n’en serez certainement pas préalablement tenus informés. Vous avez certainement compris que nous allons aborder ici un sujet qui préoccupe particulièrement nos adhérents, un sujet qui véhicule des idées parfois justes mais souvent erronées, celui de la sous-traitance dans le bâtiment.

DÉFINITION DE LA SOUS-TRAITANCE

Un sous-traitant est une personne chargée de l’exécution d’un travail pour le compte d’un entrepreneur principal. Même si ce terme est devenu générique au fil des années – ne parle-t-on pas, en effet, de sous-traiter différentes tâches – il s’applique principalement au domaine du bâtiment. Notons que le préfixe « sous » ne devrait pas normalement impliquer de jugement de valeur et devrait uniquement indiquer une exécution des tâches en second rang, ce qui n’est bien entendu pas le cas compte tenu de la très mauvaise réputation dont est entachée la sous-traitance.

L’IMAGE DE LA SOUS-TRAITANCE

D’où vient cette réputation sulfureuse dont bénéficie (sic) la sous-traitance dans le bâtiment ? Elle est sans aucun doute attachée au fait que, dans l’esprit du commun des mortels, la sous-traitance est liée à une exécution au rabais de travaux par des intervenants incompétents qui ont été recrutés, non pas en fonction de leurs compétences, mais uniquement sur la base de critères financiers. En résumé, l’entreprise principale à laquelle vous confiez un travail qui sera facturé au prix du marché cherchera à le faire exécuter pour le coût le moins élevé possible par son sous-traitant afin de dégager un bénéfice le plus élevé possible.

RÉALITÉ DE LA SOUS-TRAITANCE

La sous-traitance est devenue un phénomène généralisé à l’ensemble du bâtiment et de nombreux responsables d’entreprises justifient y avoir recours en raison du poids toujours plus important des charges sociales qui ne leur permettrait plus, selon eux, de dégager des marges suffisantes pour assurer la survie de leur entreprise. Ce qui expliquerait selon eux que dans le domaine du ravalement, par exemple, des sociétés qui comportaient, il y a encore quelques années, plusieurs centaines de salariés soient au mieux réduites de nos jours à quelques dizaines d’employés destinés à maintenir l’image de l’entreprise, la quasi-totalité des chantiers étant sous-traités. La consultation sur le net des informations légales des entreprises est à ce sujet particulièrement édifiante avec des entreprises réalisant des chiffres d’affaires impressionnants avec un effectif de salariés réduit à la portion congrue. En fait, la sous-traitance s’est au fil du temps détournée de son objectif principal qui était de pouvoir faire face à un afflux de commande, en se transformant petit à petit en un indéniable frein à l’embauche de salariés, rendant ainsi toujours plus précaire la situation des ouvriers du bâtiment qui n’a cessé de se dégrader au cours des décennies passées.

LÉGISLATION DE LA SOUS-TRAITANCE

Bien entendu, la sous-traitance n’a pas échappé à la sagacité du législateur et nous ne pouvons que nous en féliciter en imaginant les effets dévastateurs qu’aurait une absence de réglementation de cette pratique généralisée de nos jours à l’ensemble du bâtiment, construction neuve et rénovation. C’est la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 qui régit et organise la sous-traitance et qui la définit comme  » l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise du marché conclu avec le maître de l’ouvrage ».

Nous ne rentrerons pas au sein de cet article dans les détails de la législation et nous laisserons à nos juristes le soin de répondre aux interrogations de nos lecteurs sur ce sujet. Nous nous limiterons à rappeler quelques notions fondamentales qui devraient amplement suffire aux adhérents à éviter d’être confrontés aux déboires dont ils me font état lors des consultations que j’assure de manière hebdomadaire. La sous-traitance doit obligatoirement faire l’objet d’un contrat de sous-traitance entre l’entreprise principale titulaire du marché et l’entreprise sous-traitante, définissant avec précision la nature de la tâche à exécuter, le montant de la prestation et la durée d’exécution des travaux. L’entreprise principale ayant recours à une ou plusieurs entreprises sous-traitantes doit obligatoirement en demander l’agrément au maître d’ouvrage, à savoir son client, en lui communicant pour se faire toutes les pièces lui permettant de prendre connaissance des conditions de cette sous-traitance et de la qualité du sous-traitant : contrat de sous-traitance, attestations d’assurances, certificats de qualification, attestations fiscales et administratives diverses attestant que le sous-traitant est bien à jour du paiement de ses impôts, taxes et cotisations sociales.

Il est également obligatoire de vérifier qu’un sous-traitant d’origine étrangère est bien en règle avec la règlementation relative au séjour et à l’emploi en France des personnes de nationalité étrangère. Il convient d’insister particulièrement sur le caractère obligatoire de la demande d’agrément en précisant que tout acte de sous-traitance n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’agrément suivie d’un accord du maître d’ouvrage est totalement entaché d’illégalité. J’ai personnellement connaissance d’un chantier sur lequel, suite à un contrôle de l’inspection du travail, le responsable d’une entreprise a été lourdement condamné à titre personnel pour avoir employé un sous-traitant sans avoir demandé son agrément au maître d’ouvrage et ceci bien qu’une convention de sous-traitance parfaitement légale avait été conclue entre les deux parties préalablement au début des travaux.

La demande d’agrément doit faire l’objet d’une demande écrite et la réponse du maître d’ouvrage doit être faite sous la même forme. Rappelons également que la norme NF P 03 001 prévoit une règle d’acceptation tacite du sous-traitant et que si aucune réponse n’est faite sous quinze jours à cette demande d’agrément, celle-ci est réputée acceptée. Par ailleurs, il est bien évident que, dans le cas où le chantier est dirigé par un architecte, le maître d’œuvre lui délègue l’examen de la demande d’agrément et se rend généralement à son avis quant à la décision à prendre à ce sujet. Notons que, dans les marchés publics, l’agrément par le maître d’ouvrage du sous-traitant permet à celui-ci de bénéficier du paiement direct, ce qui représente une certitude d’être payé.

Ce n’est malheureusement pas toujours le cas en marchés privés, même si les modalités de paiement du sous-traitant doivent impérativement être mentionnées dans le contrat de sous-traitance joint à la demande d’agrément faite au maître d’ouvrage. L’article 14 de la loi de 1975 impose néanmoins à l’entrepreneur principal de fournir à son sous-traitant soit une caution bancaire, soit une délégation du maître de l’ouvrage, afin de garantir les paiements des sommes dues au sous-traitant. La caution prévue par la loi doit consister en un engagement personnel et solidaire d’un établissement financier permettant au sous-traitant d’être réglé par ce dernier en cas de défaillance de l’entrepreneur principal. La jurisprudence exige également que le cautionnement soit nominatif et chiffré, ce qui condamne la technique des « cautions flottes » établies à l’avance pour garantir l’ensemble des sous-traitants. Notons également qu’en cas de défaillance de l’entreprise principale, notamment en cas de dépôt de bilan, l’entreprise sous-traitante peut bénéficier de l’action directe lui permettant d’obtenir le paiement par le maître d’ouvrage des sommes lui restant dues. Par ailleurs, l’entreprise principale assume la responsabilité juridique du chantier et c’est sa responsabilité qui sera recherchée en cas de sinistre, les assurances souscrites par ses soins assurant la garantie des ouvrages réalisés pour son compte par le sous-traitant. Notons enfin, cerise sur le gâteau, que la sous-traitance en chaîne n’est pas interdite et un sous-traitant peut sous-traiter à un sous-traitant pouvant lui-même sous-traiter, etc.

LA SOUS-TRAITANCE AU QUOTIDIEN

Il n’existe aucun architecte, du moins parmi ceux qui dirigent des chantiers et dont je m’honore de faire partie, qui n’ait eu un jour le soupçon d’être en présence de sous-traitance non déclarée. Cela repose en général sur des notions impalpables dont la perception s’accroît comme les douleurs avec l’âge, telles que la présence de camionnettes immatriculées dans des contrées lointaines, l’apparition de nouvelles têtes sur le chantier, l’impossibilité à un ouvrier de donner le nom de son patron dont vous avez par malice demandé des nouvelles, etc.

Reconnaissons que, la plupart du temps, les architectes préfèrent regarder ailleurs que de jouer un rôle de contrôleur auquel ils ne sont nullement formés et pour lequel ils n’ont guère d’appétence, préférant se consacrer à leur chantier. Les entreprises sous-traitantes sont fréquemment assez jeunes et leurs dirigeants, jeunes également et plein d’enthousiasme, confondent fréquemment chiffre d’affaires et bénéfice, ce qui conduit les entreprises principales à en abuser et lesdits sous-traitants à accepter des marchés dans lesquels ils perdent de l’argent avant d’avoir mis les pieds sur le chantier. Il en résulte une faible espérance de vie de ces entreprises sous-traitantes qui représentent de ce fait une main-d’œuvre extrêmement précaire et volatile.

Quel architecte n’a pas été confronté un jour sur l’un de ses chantiers à l’obligation douloureuse, mais néanmoins indispensable, de refuser un ouvrage entaché de malfaçons réalisé par un jeune sous-traitant lorsque l’on sait très bien que ce refus entraînera de facto la cessation d’activité de ce sous-traitant. En ce qui me concerne, je n’ai pratiquement jamais recours à des entreprises générales afin de m’affranchir des risques certains d’être confrontés à de la sous-traitance. Il m’est néanmoins arrivé, à quelques rares occasions, d’être confronté à ce type de situation, soit en succédant sur un chantier à un confrère étant dans l’incapacité de poursuivre son activité, soit en étant désigné en qualité d’architecte d’une opération dans laquelle l’entreprise avait déjà été retenue par le client. Je n’ai pas vraiment de souvenir que cela se soit bien passé et j’ai plutôt conservé un souvenir assez difficile de ces chantiers.

Il existe heureusement des entreprises sous-traitantes compétentes et qualifiées, souvent dirigées par d’anciens compagnons s’étant mis à leur compte et auxquels leur ancien patron apporte son aide en leur confiant des chantiers mais cela n’est malheureusement pas la majorité. Il serait particulièrement surprenant que les choses s’améliorent dans le futur compte tenu des conditions économiques actuelles et de l’arrivée importante, sur le marché du bâtiment, d’une main-d’œuvre sous-qualifiée attirée par le miroir aux alouettes que constituent les métiers du bâtiment ou tout un chacun pense être qualifié sans avoir de qualification. Espérons que les mesures qui devraient prochainement être adoptées à ce sujet permettront de remédier à la situation actuelle qui s’apparente parfois à une nouvelle forme d’esclavage, certes librement consenti, mais dont les clients sont les premières victimes et dont pâtit particulièrement la réputation de nos métiers.

La carte d’identité professionnelle du Bâtiment et des Travaux Publics, entrée en vigueur le 1er octobre 2017 pour lutter contre le travail illégal et la fraude détachée, devrait certes permettre d’améliorer la situation mais, ainsi que le précise l’article fort bien documenté d’Isabelle Rey-Lefebvre paru dans Le Monde du jeudi 27 septembre 2018, son entrée en vigueur n’a pas rempli toutes les espérances que l’on était raisonnablement en droit d’attendre. Des filières seraient déjà en train de s’organiser pour contourner l’obligation légale d’être titulaire de cette carte et les enjeux financiers du monde de la construction sont tels que rien ne laisse augurer de son efficacité. Comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions y compris et surtout quand les pavés sont posés par une main d’œuvre non déclarée et recrutée au hasard de sa disponibilité et nous pouvons faire confiance à ceux qui ne vont certainement pas manquer de mettre au point des dispositifs destinés à contourner la loi. Le rideau vient de se baisser, la troupe salue sous les applaudissements, les gradins, pardon les échafaudages, se vident petit à petit. Ainsi va la saison lyrique, ainsi va le monde du bâtiment qui ne risque certainement pas de changer prochainement car selon l’adage « quand le bâtiment va tout va« . Et il semble manifeste que les choses ne puissent actuellement aller d’une autre manière, les différents intervenants de la profession y trouvant apparemment leur compte.

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